Je m’appelle Adrien et j’ai terminé mon deuxième roman en février 2024. Arrêt sur Page est un lieu où je tente de donner un sens à ce travail qu’est l’écriture ; et plus globalement, au monde qui m’entoure. Ici, on parle de récits, d’écrivain.e.s, d’art mais aussi de confiance en soi, de peur du regard de l’autre, de volonté de suivre sa voie. Les articles prennent la forme de courts essais, qui développent chacun leur tour une pensée.
Bonjour ! 🗳️
Déjà plus d’un mois depuis mon dernier article !
Et je dois vous avouer que je n’ai pas vu le temps passer ! Je sentais bien que je n’avais pas publié depuis quelques temps mais je ne pensais pas que le compteur afficherait autant de jours…
Jusqu’à présent, j’ai essayé de me tenir à un article toutes les deux semaines environ.
Sauf que ces derniers temps, je me sens très bien avec moi-même. Je n’ai pas envie de m’imposer un rythme. Et pour la première fois depuis un an et demi, je ne porte aucune charge mentale liée à l’écriture. Aucune voix qui me susurre : “Tu pourrais être en train d’écrire, tu sais ?”
Et ça fait du bien !
Pourtant, on le lit, on l’entend, on le voit partout : pour devenir une meilleure version de soi-même, il faudrait s’astreindre à une routine. Il faudrait suivre une discipline.
Particulièrement dans l’écriture, tout ce qu’on peut trouver de conseils va dans ce sens : pour progresser, il faut écrire, écrire, écrire. Des types comme Stephen King ou Haruki Murakami écrivent par exemple plus de 1000 mots par jour.
Et je crois en ces valeurs de régularité et de ténacité.
Pour autant, je constate que la discipline peut aussi être un poids, une pression contre-productive. A force de vouloir faire toujours mieux, on arrive à passer des heures sur une copie, sans jamais trouver satisfaction.
Me viennent alors les questions suivantes : la discipline va-t-elle forcément dans le sens de la contrainte ? N’y aurait-il pas moyen de concilier rigueur et bienveillance envers soi-même ? De trouver sa discipline amie et chasser l’ennemie ?
Je vous propose d’explorer avec moi cette problématique.
Bienvenue dans le septième épisode d’Arrêt sur Page… 🌞
Le fragile plaisir d’écrire
Arrêt sur Page a vu le jour peu de temps après la fin de la rédaction de mon second roman. J’étais sur les rotules. (Un an et demi à écrire en solitaire, ça fatigue.)
Lancer cette newsletter a été une excellente idée. Pour la première fois, j’ai découvert ce que c’était que d’écrire à des personnes directement.
Ici, je peux partager ma production à mon entourage. Je reçois des commentaires sur mon travail. Je peux envoyer des articles à peu près quand bon me semble, sur les sujets qui me plaisent. Et surtout, je n’ai pas à attendre 40 000 mots pour utiliser le mot “fin”.
Je trouve ici à la fois un espace de liberté, de partage et de catharsis. (En particulier, écrire l’article sur le refus des éditeurs m’a permis de bien mieux appréhender mon sentiment d’échec !)
Pourtant, après quelques articles, ce sentiment de liberté s’est fané. Les premiers épisodes ont commencé à me peser et soudain, je me suis mis la pression. Comme si ce que j’avais déjà écrit me contraignait pour la suite.
Je me suis senti obligé de tenir à la ligne éditoriale que je m’étais fixée au départ. Alors que j’avais envie de parler de plein de sujets différents, j’ai eu peur de paraître incohérent.
Je me suis senti coincé dans un dilemme : plutôt m’écouter et risquer de regretter ou bien me faire violence et me discipliner ?
La peur d’être incohérent
Ah… La peur d’être incohérent… C’est bien là le coeur du problème !
Toujours ce bon vieux syndrome de l’imposture, qui revient sous un autre nom…
Ces comportements proviennent souvent d’un manque de confiance en soi. Ou plutôt, ils sont la conséquence d’un manque de confiance dans le fait que son opinion ou sa manière de faire existe autant que celui ou celle des autres.
L’aversion à l’incohérence vient d’un schéma inconscient de survie qui vise à éviter le rejet. (Cette citation provient d’un article dont je ne garantirais pas la qualité mais dont j’ai trouvé la citation pertinente.)
Pour m’en tenir à mon expérience personnelle : j’ai longtemps eu l’impression d’être incohérent dans mon parcours professionnel. Comparé à des ami.e.s ingénieur.e.s qui semblent passionné.e.s par leur métier, j’ai du mal à rester en place.
En particulier, je ne suis pas du genre à avoir un plan préparé pour les 10 ans à venir. J’aime bien me laisser porter. Tout en désirant beaucoup de choses à la fois.
Ca fait que je n’ai pas cette confiance que certain.e.s peuvent avoir quand ils ou elles ont une seule idée en tête. J’entreprends plein de projets (ce qui est plutôt bien) mais j’ai du mal à trouver ma bonne manière de faire (ce qui est fatiguant).
Je reste très perméable à l’avis des autres. Et je me retrouve souvent à vouloir faire “comme”.
Sauf que vouloir faire “comme” peut être un problème. (Internet et les réseaux ne faisant qu’accentuer une comparaison permanente et inéquitable, puisqu’on n’y voit que ce qu’on veut bien nous montrer.)
Filtrer les conseils
Quand j’ai commencé Arrêt sur Page, je suis rapidement tombé sur des pages aux milliers, voire millions d’abonnés, qui m’ont tout de suite fait baver d’envie.
C’est vrai, ça fait rêver de voir que machine à réussi en un an à avoir 20 000 abonnés, en publiant un post LinkedIn par jour. Et que machin a maintenant publié un livre, trois ans après le lancement de sa newsletter.
Ces personnes-là ont trouvé ce que nous recherchons toutes et tous dans l’écriture (et plus généralement, dans le travail) : un public qui reconnait la valeur de leur production.
Comment ne pas vouloir la même chose ?
Le premier réflexe est de chercher à faire pareil. C’est ce que font les enfants pour apprendre à marcher et à parler. C’est ce que font les adultes pour apprendre à cuisiner une bonne blanquette de veau.
Sauf que…
La frontière est ténue entre recevoir des conseils et se faire envahir par ces mêmes conseils.
Dans le second cas, des outils puissants se transforment en source de frustration et d’inquiétude. On se sent d’autant plus nul.le d’ailleurs qu’ils semblent fonctionner pour d’autres !
Ca a été mon cas avec Arrêt sur Page.
J’ai lu que je devais avoir une ligne éditoriale claire. Et que je devais publier régulièrement sur les réseaux. Que je devais identifier ma cible. En gros, que je devais apprendre à me vendre.
J’ai bien senti une gêne. J’ai bien senti que je ne croyais pas en certaines méthodes.
Mais comme je n’ai pas assez confiance en ma propre opinion, je suis allé contre moi-même. Je me suis pris la tête à vouloir appliquer des conseils, sans prendre le temps de les intérioriser.
Au lieu de m’écouter et de construire une boite à ma taille, je me suis contorsionné pour rentrer dans une déjà toute faite.
Bref, je me suis mis la pression.
Discipline amie vs. Discipline ennemie
Bon, et après ? Nike défendrait que se mettre la pression a du bon !
Ce serait mentir que d’affirmer que tous les conseils reçus m’ont été néfastes. Au contraire, même !
Sans eux, je n’aurais pas commencé à publier cette newsletter par exemple. Je ne me serais pas détaché de ma peur du regard de l’autre sur les réseaux. Je n’aurais pas osé, tout simplement.
Mais alors comment savoir à quel moment écouter les conseils et à quel autre s’imposer et dire non ?
J’ai dit plus haut que je crois en la vertu de la discipline. Mais je crois surtout en la vertu de la discipline appliquée à sa manière.
Discipline ne veut pas dire sang et sueur. Il en existe différents types, certaines amies et d’autres ennemies.
Dans la catégorie amie, je place toutes ces contraintes que l’on met en place dans nos vies par volonté de progresser dans une activité, parce que l’on s’y sent bien.
Dans la catégorie ennemie, je mets toutes ces disciplines que l’on met en place “par peur de …”.
La dynamique est très différente. Dans le premier cas, on va vers. Dans l’autre, on s’éloigne de.
Trouver sa discipline amie revient à identifier ses peurs et à distinguer ce qui nous fait aller vers quelque chose plutôt que ce qui nous éloigne de.
C’est à ce prix que l’on peut agir par choix véritable (et non par fuite) !
Essayer, essayer, essayer
Il ne s’agit donc pas de rejeter toute forme de conseil ou d’avoir toujours confiance en soi. Mais plutôt de prendre les conseils qu’on nous donne, de les essayer avec authenticité, tout en ayant confiance en sa capacité à dire “non, cette manière de faire n’est pas pour moi”.
Si je pouvais donner un conseil au moi d’aujourd’hui et d’hier, je lui dirais : essaye d’essayer !
Essaye, essaye, essaye, encore et toujours, pour chercher ce qui te plait, ce qui fonctionne, là où tu es bon, là où tu es moins bon. Essaye pour te rendre compte que tu as le temps d’essayer et de te tromper. Que personne n’en a rien à faire que tu te trompes (à part toi-même). Et que les gens qui t’en tiendraient rigueur sont seulement des personnes frustrées, qui ne se permettent pas la joie d’être leur propre ami.e.
Comme dit Alexandre Astier :
La seule chose qui différencie souvent les gens qui font de ceux qui ne font pas, c’est juste une impression de légitimité quant au fait de faire. […] Que les gens aiment ou qu’ils n’aiment pas, ça ne me regarde pas. Je dois faire ce que je dois faire. Je dois le faire avec tout ce que je puis y mettre. Je dois faire du mieux que je suis, du mieux que je puis. Mais si je fais du mieux que je puis, si ça ne vous va pas, ce n’est pas grave.
Savoir qu’on fait de son mieux
Avoir la certitude de faire de son mieux apporte une stabilité extrêmement puissante.
On peut alors entreprendre avec efficacité, sans être trop dur.e envers soi-même. S’appliquer des contraintes justes. Travailler sereinement. Et surtout, faire preuve d’humilité et reconnaître ses erreurs.
Car essayer, ce n’est pas seulement tomber et repartir.
C’est aussi réfléchir à la cause de la chute et aux moyens qu’on aurait pu mettre en place pour l’éviter.
Tous les débutants le savent. C’est en n’ayant pas peur de se tromper ET en cherchant à ne plus se tromper qu’on apprend.
Comme dit Georges Saunders, dans sa newsletter Story Club (une merveille par ailleurs) :
What can we do, that makes the world respond enthusiastically to us?
[…] A moment of non-success might be profitably understood as that which might invoke the swerve; that is: might we view “a moment of failure” as, instead, “a sacred opportunity to reject old habits?”
Le moteur de la reconnaissance
Cette manière de faire par itération passe par le travail.
Il n’y a pas longtemps, j’écoutais une interview d’Ed Sheeran.
For me, being able to do what I love every single day, the tradeoff is the fame. […] That’s the part that most people think is the thing that they want, whereas I think if you do what you love every day, that’s actually what you should aim for, basically.
Cette phrase m’aide à imaginer comment j’ai envie de travailler.
J’ai envie de travailler pour moi, avant tout. Pas pour prouver quelque chose à d’autres ou pour me faire bien voir.
Mais ça ne signifie pas que je me moque d’être reconnu ! La quête de reconnaissance est un moteur très important pour avancer !
Sans aucun souci de reconnaissance, on peut rester bloquer dans ses certitudes et n’attirer personne. Un bar qui ne satisfait aucun client fait faillite. Un écrivain qui n’intéresse aucun lecteur fait également faillite.
Mais être reconnu n’est pas être connu. Je veux travailler pour être reconnu tout en visant à faire ce que j’aime (et non pas en visant la validation par tout le monde par exemple).
Ca va aller
Je terminerai par ces quelques mots entendus dans une interview de BookMakers (je cite de tête, c’est sûrement approximatif).
Le journaliste Richard Gaitet demandait à Sophie Divry si elle regrettait une partie de son éducation.
J’aurais aimé qu’on me dise plus : “Ca va aller.”
J’ai trouvé cette phrase fabuleuse. C’est vrai qu’on ne nous le dit pas assez !
Alors une bonne fois pour toutes, j’ai envie de vous le crier avec le sourire : ça va aller !
Tant que l’on écoute la meilleure partie de nous-mêmes, pour aller vers. Tant que l’on s’accorde le privilège de rester ouvert.e aux autres. Tant que l’on prête l’oreille à notre intuition.
Ca va aller !
Pour les mois à venir, je vous souhaite de trouver le courage d’essayer, d’apprivoiser vos peurs et de trouver vos disciplines amies.
A bientôt ! 🙂
P.S : au moment où je finis d’écrire ces lignes, le premier tour des législatives est terminé. L’extrême-droite et ses hordes de haine n’en finissent pas de se répandre. L’impunité semble être amenée à régner et chaque jour, on assiste à de plus en plus d’horreurs racistes, homophobes, antisémites, islamophobes, … L’intelligence reste un outil essentiel pour combattre l’obscurantisme. Continuons à créer. A réfléchir. A penser. A s’ouvrir. Soyons nous-mêmes. Ouvrons la bouche. Et aussi les oreilles, les yeux et nos bras, bien grands.
P.P.S : n’oubliez pas de voter au second tour !
P.P.P.S : ça va aller ❤️
Très en phase avec le « ça va aller », ça fait du bien de se le rappeler !
Et pour avoir une trajectoire similaire à toi, en tentant de faire rentrer au chausse-pied dans mon quotidien le boulot, l’écriture, la newsletter ET les théoriques réseaux sociaux… On finit par vivre constamment écrasé par la charge mentale des créateurs, alors même qu’il s’agit d’un projet plaisir ! Face à ça, toujours le même conseil : trouver le bon équilibre entre l’écoute de soi, et le besoin de se mettre un coup de pied aux fesses :) Ca va aller !
Merci pour cet essai qui fait du bien 🥰 Je sens de plus en plus quand j'écris mes romans que le bâton sur les doigts de "c'est tous les jours ou sinon c'est de la fainéantise" a tendance à ne pas marcher pour moi : souvent les pages sont bien meilleures et plus fluides quand je m'autorise à mettre de la souplesse dans la discipline (en écrivant un chapitre un jour sur deux ou un jour sur trois, par exemple). J'ai beaucoup ri de tes associations d'images comme la voiture de course pour l'idée que le désir de reconnaissance puisse être un moteur ! C'est si agréable de parler d'écriture avec humour et sans la rigidité des méthodes-miracles qui angoissent.