Je m’appelle Adrien et j’ai terminé mon deuxième roman en février 2024. Arrêt sur Page est un lieu où je tente de donner un sens à ce travail qu’est l’écriture ; et plus globalement, au monde qui m’entoure. Ici, on parle de récits, d’écrivain.e.s, d’art mais aussi de confiance en soi, de peur du regard de l’autre, de volonté de suivre sa voie. Les articles prennent la forme de courts essais, qui développent chacun leur tour une pensée.
Bonjour ! 🌼
Aujourd’hui, un article sorti plus rapidement que les précédents, pour partager ma première étude de texte…
Et quel texte !
Voici un extrait d’une des premières scènes du célèbre roman d’Alexandre Dumas, Les Trois Mousquetaires. Celui-ci se lit en moins de 5 minutes. Prenez le temps de le survoler si vous ne l’avez pas encore fait !
Et si l’histoire de la création des Trois Mousquetaires vous intéresse, je vous invite à lire cet article écrit par Alexandre Courbin, dans sa newsletter Un Rêve Un Seul : 4 leçons d’écriture tirées d’Alexandre Dumas. Y est notamment expliqué le rôle qu’Auguste Maquet a eu en tant que collaborateur d’Alexandre Dumas sur ses romans les plus connus. Très intéressant !
Etude du texte
Le contexte est le suivant.
Nous sommes au début du roman. D’Artagnan vient de quitter le domicile familial, avec pour toute richesse une lettre de son père adressée à M. de Tréville, capitaine des mousquetaires du roi; son épée; et son cheval fatigué. Ce baudet a la particularité d’avoir une couleur jaune, ce qui lui vaut d’être la cible de moqueries de celles et ceux que croisent d’Artagnan. Mais jusque-là, ces moqueries se sont faites à voix basse et notre personnage n’en a pas eu connaissance.
Arrive ce passage à l’auberge, où un homme rit sous son nez…
Voyons de quels ressorts font usage Dumas et Maquet pour construire une tension narrative qui ne s’essouffle jamais !
Un protagoniste parfait pour les conflits
Le premier ingrédient est bien sûr notre héros !
Fier, brave, colérique, pourvu d’un honneur à faire pâlir le roi Arthur, fidèle. Un personnage qu’on s’attend à voir courir au devant des dangers et à attirer les aventures à lui !
Et c’est bien ce qu’il se passe : “Or, comme un demi-sourire suffisait pour éveiller l’irascibilité du jeune homme, on comprend quel effet produisit sur lui tant de bruyante hilarité.”
On comprend d’autant mieux qu’on n’attend que ça !
De conflit statique à conflit dynamique
Les pages précédentes, l’auteur a fait monter la tension.
Durant tout le trajet, d’Artagnan et son cheval sont moqués par celles et ceux qu’ils croisent. Mais jusqu’à présent le personnage ne le se savait pas : seuls les lecteurs et lectrices le savent. C’est ce qu’on appelle un conflit statique.
Un conflit statique est une astuce narrative : l’histoire n’avance pas, puisque le personnage n’est pas confronté à de nouvelles péripéties. Pour autant, le lectorat engrange des sensations et le récit gagne en intérêt.
On peut comparer cette manière de faire à une bonne campagne de pub. On fait monter la hype autour d’un évènement, on crée des attentes, pour que le jour du lancement, tout le monde soit sur les starting blocks.
Ainsi, quand on lit : “Cette fois, d’Artagnan ne s’était trompé qu’à moitié : ce n’était pas de lui qu’il était question, mais de son cheval.”
On pense qu’effectivement : “cette fois”, c’est la bonne. Le conflit va devenir dynamique !
Et l’auteur ne nous déçoit pas. En quelques phrases, la tension accumulée trouve un destinataire.
Du conflit verbal au conflit physique
“Il n’y avait plus de doute, d’Artagnan était réellement insulté.”
Les premiers instants du conflit dynamique se font par la parole. D’Artagnan est insulté et entreprend de défier l’impertinent.
“– Eh ! monsieur, s’écria-t-il, monsieur, qui vous cachez derrière ce volet ! oui, vous, dites-moi donc un peu de quoi vous riez, et nous rirons ensemble.”
Mais son adversaire ne recule pas. Pire, il répond au défi de d’Artagnan par un “mélange d’insolence et de bonnes manières, de convenances et de dédains.”
Dans La Dramaturgie, Yves Lavandier explique que l’être humain a une satisfaction à voir la justice rendue.
Dumas joue très bien sur cette corde. Lorsque d’Artagnan tire “son épée d’un pied hors du fourreau”, nous sommes complètement de son côté. Nous n’avons qu’une envie : qu’il donne une bonne leçon à cet impertinent.
L’identification émotionnelle
Or, cette envie de justice ne vient pas de nulle part ! Elle se base sur nos émotions. Et comme nous l’avons vu dans notre article précédent, l’émotion est un vecteur très fort d’identification au personnage.
Quand d’Artagnan est blessé dans son orgueil, c’est nous-mêmes que nous imaginons à sa place ! Réagissant fièrement, défendant notre honneur.
Mais Dumas ne se contente pas de nous donner un personnage fier. Par sa plume ironique, il ajoute une touche de naïveté à d’Artagnan et le rend ainsi touchant. Et donc accessible !
Nous pouvons nous projeter !
“Malheureusement, au fur et à mesure qu’il avançait, la colère l’aveuglant de plus en plus, au lieu du discours digne et hautain qu’il avait préparé pour formuler sa provocation, il ne trouva plus au bout de sa langue qu’une personnalité grossière qu’il accompagna d’un geste furieux.”
Qui n’a jamais perdu ses mots sous le coup de la colère ? Comment ne pas être attendri.e par un tel comportement ?
Dès lors, nous ne souhaitons qu’une chose pour notre héros : qu’il obtienne réparation, c’est-à-dire consolation !
L’annonce de futurs problèmes
Mais nous sommes au début du roman. Dumas n’a aucun intérêt à donner pleine satisfaction à son lectorat dès maintenant.
Dans les pages suivantes, d’Artagnan se fait rosser par les hommes de main de son adversaire et s’évanouit. Il s’agit là de créer un noeud d’intrigue, un conflit non terminé, que l’on s’attend à voir résolu dans le futur.
Et l’on s’y attend d’autant plus que Dumas nous le laisse espérer !
“D’Artagnan fit toutes ces remarques avec la rapidité de l’observateur le plus minutieux, et sans doute par un sentiment instinctif qui lui disait que cet inconnu devait avoir une grande influence sur sa vie à venir.”
Par cette remarque explicite et pourtant parfaitement insérée dans l’histoire (Dumas l’attribue au personnage et non au narrateur directement), une bagarre anecdotique se trouve soudain propulsée dans l’intrigue première.
Rien n’est laissé au hasard. Chaque évènement à son utilité, un obstacle amenant une résolution qui, à son tour, amène un nouvel obstacle. Et tant pis si la ficelle est un peu grosse : c’est ce qu’attendent les lecteurs et lectrices !
Que la toile se tisse, sous leurs yeux. Qu’ils le sentent ! Mais qu’ils ne puissent pas expliquer comment pour autant…
Merci pour votre lecture !
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Bonne journée à toutes et tous ! Avec son lot d’odeurs de pain grillé et de parfums aériens ☕️