đ§ L'intrigue d'un roman : c'est quoi ? (2/2)
Essai #5 | Qu'est-ce qui fait une bonne intrigue ?
Je mâappelle Adrien et jâai terminĂ© mon deuxiĂšme roman en fĂ©vrier 2024. ArrĂȘt sur Page est un lieu oĂč je tente de donner un sens Ă cette passion : lâĂ©criture. Et plus globalement, au monde qui mâentoure. Ici, on parle de rĂ©cits, dâĂ©crivain.e.s, dâart mais aussi de confiance en soi, de peur du regard de lâautre, de volontĂ© de suivre sa voie. Les articles prennent la forme de courts essais, dans lesquels je dĂ©veloppe une pensĂ©e.
Bonjour ! đŒ
Je reviens aprĂšs une pĂ©riode de silence, durant laquelle jâai profitĂ© de quelques vacances trĂšs plaisantes !
Aujourdâhui, nous reprenons notre rĂ©flexion autour de la question suivante : quâest-ce qui fait une bonne intrigue de roman ?
Lorsquâon Ă©crit un rĂ©cit, il me semble que cette question est essentielle. A propos de ses films, Hitchcock disait ainsi :
Le principal objectif est de crĂ©er une Ă©motion chez le spectateur et cette Ă©motion nait de la façon dont lâhistoire se dĂ©roule.
Cette idée peut se transposer aux romans.
Tout au long de la lecture, câest bien lâhistoire qui permet aux lecteurs et lectrices de garder le livre en mains. Si lâon perd toute notion de pĂ©ripĂ©tie, un texte aura beau ĂȘtre Ă©crit dans un style impeccable, il sera terriblement difficile Ă lire.
Mais comment Ă©crire une histoire palpitante ?
Il sâagit de ne pas perdre le fil
En 1852, Gustave Flaubert Ă©crit Ă son amante, Louise Colet, Ă propos de ce qui deviendra La Tentation de Saint-Antoine :
Câest une Ćuvre manquĂ©e. Tu parles de perles. Mais les perles ne font pas le collier ; câest le fil. [âŠ] De ce que jâavais beaucoup travaillĂ© les Ă©lĂ©ments matĂ©riels du livre, la partie historique je veux dire, je me suis imaginĂ© que le scĂ©nario Ă©tait fait et je mây suis mis. Tout dĂ©pend du plan. Saint Antoine en manque ; la dĂ©duction des idĂ©es sĂ©vĂšrement suivie nâa point son parallĂ©lisme dans lâenchaĂźnement des faits. Avec beaucoup dâĂ©chafaudages dramatiques, le dramatique manque.
Il ressort dâabord de ce passage que Flaubert Ă©crit merveilleusement bien ! Pourtant, ça ne lâempĂȘche pas de critiquer son propre texte. Et mĂȘme dâexpliquer quâil a ratĂ© son oeuvre !
âLes perles ne font pas le collier ; câest le fil.â
Flaubert rappelle quâil ne suffit pas dâaligner des idĂ©es les unes Ă la suite des autres pour faire un roman. On peut bien fabriquer les plus belles perles : sans le fil, le collier ne tient pas. Et le fil, câest lâintrigue !
âJe me suis imaginĂ© que le scĂ©nario Ă©tait fait et je mây suis mis.â
Il faut savoir que Flaubert Ă©crit cette lettre alors quâil vient de commencer la rĂ©daction de Madame Bovary. La Tentation de Saint-Antoine est lâun de ses travaux de jeunesse, bien que le texte final ne soit publiĂ© quâen 1874 (soit 22 ans plus tard !).
Je dois avouer que lire ces phrases mâa apportĂ© un certain rĂ©confort ! Avant de devenir lâun des plus grands romanciers au monde, Flaubert a fait les mĂȘmes erreurs que tout le monde. En particulier, celle de ne pas construire assez son histoire avant de se lancer.
Car pour construire une cathĂ©drale, les fondations doivent ĂȘtre solides comme The Rock !
âTout dĂ©pend du plan. [âŠ] La dĂ©duction des idĂ©es sĂ©vĂšrement suivie nâa point son parallĂ©lisme dans lâenchaĂźnement des faits.â
Au-delĂ de la soliditĂ© de la structure, il est essentiel de se dĂ©tacher de lâenvie de faire coller ses idĂ©es Ă une histoire. A vouloir dĂ©montrer de grands principes, on fait âdes romans comme ça un peu philosophards et chiantsâ, comme dirait Nicolas Matthieu (Ă©pisode 1/3 du podcast Arte Bookmakers).
En ce sens, il sâagit avant tout de laisser les pĂ©ripĂ©ties suivre leur cours. SĂ©bastien Spitzer, un romancier qui a Ă©tĂ© mon enseignant lors dâun atelier aux Mots, expliquait : ce sont des donc qui doivent mener lâintrigue, et non des et.
Lâidentification Ă©motionnelle
Une intrigue qui se tient doit transmettre des Ă©motions. Ce quâun lecteur ou une lectrice cherche au contact des pages est avant tout un certain reflet de sa propre rĂ©alitĂ©. Un roman qui nous serait totalement Ă©tranger ne peut que nous dĂ©sarçonner.
Par exemple, si demain je lis un livre dans lequel le personnage hausse les Ă©paules en voyant toute sa famille mourir, je vais forcĂ©ment chercher une explication Ă cette rĂ©action. Que celle-ci ne vienne pas, je vais demeurer dans lâincomprĂ©hension, et penser que le rĂ©cit ne tient pas (ou est mauvais, tout simplement).
Dans son ouvrage La Dramaturgie, Yves Lavandier dĂ©veloppe ainsi lâidĂ©e quâune intrigue vaut par lâidentification quâelle gĂ©nĂšre chez le lecteur. Ce phĂ©nomĂšne dâidentification est bien plus puissant quand il passe par lâĂ©motion plutĂŽt que par lâintellect.
Or, pour crĂ©er de lâĂ©motion, rien de tel quâun conflit !
Lâouvrage dâYves Lavandier, La Dramaturgie est LA grande rĂ©fĂ©rence dans le domaine. Il a Ă©tĂ© encensĂ© par la critique. Pour Jacques Audiard, il serait comparable Ă La PoĂ©tique, dâAristote.
Le conflit comme véhicule de caractérisation
Yves Lavandier dĂ©fend que la chaine de base de toute intrigue est la suivante : personnage â objectif â obstacle â conflit â Ă©motion. (Ca vous rappelle quelque chose ? đ)
En particulier, le conflit est le lieu oĂč va se nouer lâintrigue, et ce pour trois grandes raisons.
Le conflit comme gĂ©nĂ©rateur dâĂ©motions
Tout conflit gĂ©nĂšre de la frustration. Or, celle-ci est un moteur extrĂȘmement puissant de lâĂȘtre humain. Freud (et la psychanalyse Ă sa suite) a mis en lumiĂšre le rĂŽle du dĂ©sir et de la frustration dans la construction de la personnalitĂ© dâun individu.
En ce sens, la frustration est une source infinie dâĂ©motions, selon la maniĂšre dont elle est traitĂ©e. Faire vivre un conflit Ă un personnage, câest lui ouvrir le champ des possibles.
Le conflit comme moyen dâidentification universel
En tant que lecteur ou lectrice, nous nous identifions particuliĂšrement bien aux Ă©motions gĂ©nĂ©rĂ©es par un conflit, car le conflit est omniprĂ©sent dans notre rĂ©alitĂ©. Depuis la sonnerie du rĂ©veil jusquâĂ la mort dâun.e proche, nous passons notre temps Ă nous arranger avec des conflits (internes ou externes, physiques ou psychologiques).
Le conflit comme véhicule de caractérisation
Enfin, le conflit est un vĂ©hicule de caractĂ©risation pour construire un personnage. Chaque individu rĂ©agit diffĂ©remment au conflit. Selon le traitement des rĂ©actions, lâĂ©crivain.e va pouvoir dĂ©finir un personnage prĂ©cis, subtil â unique ! En retour, les lecteurs et lectrices vont alors avoir lâimpression dâavoir une âvraieâ personne en face dâeux.
Tout lâenjeu du romancier est de transmettre ces Ă©motions, afin dâentrainer notre identification Ă©motionnelle au personnage !
La preuve par lâexemple â Les Trois Mousquetaires
Voici un extrait dâune des premiĂšres scĂšnes du roman dâAlexandre Dumas. Celui-ci se lit en moins de 5 minutes ! đ«§
En ayant en tĂȘte ce qui a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ© plus haut, essayez de capter les Ă©motions que le texte crĂ©e en vous. A quel moment du texte Dumas vous embarque ? Quels sont les mĂ©canismes narratifs quâil met en place ? Quelles sont les sensations qui vous viennent Ă la lecture de certaines phrases ? Les questions ? Comment nait le suspens ?
Lâanalyse du texte arrive dans quelques jours, histoire de vous laisser un peu de temps pour y rĂ©flĂ©chir. đ€
Merci dâavoir pris le temps de me lire jusquâici !
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Bonne semaine Ă vous, pleines de giboulĂ©es de mai et de bronzettes Ă©clair ! đŠïž
Merci merci pour cette ouverture et ces rĂ©flexions ! J aime n bien le fil et les perles đ
TrĂšs intĂ©ressant cet essai #5 & petit + pour le choix des gifs đ€©