🐧 L'intrigue d'un roman : c'est quoi ? (2/2)

Essai #5 | Qu'est-ce qui fait une bonne intrigue ?

mai 23, 2024

Je m’appelle Adrien et j’ai terminé mon deuxième roman en février 2024. Arrêt sur Page est un lieu où je tente de donner un sens à cette passion : l’écriture. Et plus globalement, au monde qui m’entoure. Ici, on parle de récits, d’écrivain.e.s, d’art mais aussi de confiance en soi, de peur du regard de l’autre, de volonté de suivre sa voie. Les articles prennent la forme de courts essais, dans lesquels je développe une pensée.

Bonjour ! 🌼

Je reviens après une période de silence, durant laquelle j’ai profité de quelques vacances très plaisantes !

Aujourd’hui, nous reprenons notre réflexion autour de la question suivante : qu’est-ce qui fait une bonne intrigue de roman ?

Lorsqu’on écrit un récit, il me semble que cette question est essentielle. A propos de ses films, Hitchcock disait ainsi :

Le principal objectif est de créer une émotion chez le spectateur et cette émotion nait de la façon dont l’histoire se déroule.

Cette idée peut se transposer aux romans.

Tout au long de la lecture, c’est bien l’histoire qui permet aux lecteurs et lectrices de garder le livre en mains. Si l’on perd toute notion de péripétie, un texte aura beau être écrit dans un style impeccable, il sera terriblement difficile à lire.

Mais comment écrire une histoire palpitante ?

*J’ai demandé à une intelligence artificielle de créer une image pour illustrer ma dernière phrase. Pas mal, non ?*

Il s’agit de ne pas perdre le fil

En 1852, Gustave Flaubert écrit à son amante, Louise Colet, à propos de ce qui deviendra La Tentation de Saint-Antoine :

C’est une œuvre manquée. Tu parles de perles. Mais les perles ne font pas le collier ; c’est le fil. […] De ce que j’avais beaucoup travaillé les éléments matériels du livre, la partie historique je veux dire, je me suis imaginé que le scénario était fait et je m’y suis mis. Tout dépend du plan. Saint Antoine en manque ; la déduction des idées sévèrement suivie n’a point son parallélisme dans l’enchaînement des faits. Avec beaucoup d’échafaudages dramatiques, le dramatique manque.

Il ressort d’abord de ce passage que Flaubert écrit merveilleusement bien ! Pourtant, ça ne l’empêche pas de critiquer son propre texte. Et même d’expliquer qu’il a raté son oeuvre !

“Les perles ne font pas le collier ; c’est le fil.”

Flaubert rappelle qu’il ne suffit pas d’aligner des idées les unes à la suite des autres pour faire un roman. On peut bien fabriquer les plus belles perles : sans le fil, le collier ne tient pas. Et le fil, c’est l’intrigue !

“Je me suis imaginé que le scénario était fait et je m’y suis mis.”

Il faut savoir que Flaubert écrit cette lettre alors qu’il vient de commencer la rédaction de Madame Bovary. La Tentation de Saint-Antoine est l’un de ses travaux de jeunesse, bien que le texte final ne soit publié qu’en 1874 (soit 22 ans plus tard !).

Je dois avouer que lire ces phrases m’a apporté un certain réconfort ! Avant de devenir l’un des plus grands romanciers au monde, Flaubert a fait les mêmes erreurs que tout le monde. En particulier, celle de ne pas construire assez son histoire avant de se lancer.

Car pour construire une cathédrale, les fondations doivent être solides comme The Rock !

The Rock : l'origine du pseudonyme de Dwayne Johnson — *La structure de ton roman doit avoir cette tête-là.*

“Tout dépend du plan. […] La déduction des idées sévèrement suivie n’a point son parallélisme dans l’enchaînement des faits.”

Au-delà de la solidité de la structure, il est essentiel de se détacher de l’envie de faire coller ses idées à une histoire. A vouloir démontrer de grands principes, on fait “des romans comme ça un peu philosophards et chiants”, comme dirait Nicolas Matthieu (épisode 1/3 du podcast Arte Bookmakers).

En ce sens, il s’agit avant tout de laisser les péripéties suivre leur cours. Sébastien Spitzer, un romancier qui a été mon enseignant lors d’un atelier aux Mots, expliquait : ce sont des donc qui doivent mener l’intrigue, et non des et.

L’identification émotionnelle

Une intrigue qui se tient doit transmettre des émotions. Ce qu’un lecteur ou une lectrice cherche au contact des pages est avant tout un certain reflet de sa propre réalité. Un roman qui nous serait totalement étranger ne peut que nous désarçonner.

Par exemple, si demain je lis un livre dans lequel le personnage hausse les épaules en voyant toute sa famille mourir, je vais forcément chercher une explication à cette réaction. Que celle-ci ne vienne pas, je vais demeurer dans l’incompréhension, et penser que le récit ne tient pas (ou est mauvais, tout simplement).

Dans son ouvrage La Dramaturgie, Yves Lavandier développe ainsi l’idée qu’une intrigue vaut par l’identification qu’elle génère chez le lecteur. Ce phénomène d’identification est bien plus puissant quand il passe par l’émotion plutôt que par l’intellect.

Or, pour créer de l’émotion, rien de tel qu’un conflit !

L’ouvrage d’Yves Lavandier, La Dramaturgie est LA grande référence dans le domaine. Il a été encensé par la critique. Pour Jacques Audiard, il serait comparable à La Poétique, d’Aristote.

Le conflit comme véhicule de caractérisation

Yves Lavandier défend que la chaine de base de toute intrigue est la suivante : personnage – objectif – obstacle – conflit – émotion. (Ca vous rappelle quelque chose ? 😉)

En particulier, le conflit est le lieu où va se nouer l’intrigue, et ce pour trois grandes raisons.

Le conflit comme générateur d’émotions

Tout conflit génère de la frustration. Or, celle-ci est un moteur extrêmement puissant de l’être humain. Freud (et la psychanalyse à sa suite) a mis en lumière le rôle du désir et de la frustration dans la construction de la personnalité d’un individu.

En ce sens, la frustration est une source infinie d’émotions, selon la manière dont elle est traitée. Faire vivre un conflit à un personnage, c’est lui ouvrir le champ des possibles.

Vice-Versa », précis de psychanalyse pour tous — A ce titre, Vice-Versa est un film original où les émotions elles-mêmes deviennent des personnages traversant des conflits !

Le conflit comme moyen d’identification universel

En tant que lecteur ou lectrice, nous nous identifions particulièrement bien aux émotions générées par un conflit, car le conflit est omniprésent dans notre réalité. Depuis la sonnerie du réveil jusqu’à la mort d’un.e proche, nous passons notre temps à nous arranger avec des conflits (internes ou externes, physiques ou psychologiques).

Le conflit comme véhicule de caractérisation

Enfin, le conflit est un véhicule de caractérisation pour construire un personnage. Chaque individu réagit différemment au conflit. Selon le traitement des réactions, l’écrivain.e va pouvoir définir un personnage précis, subtil – unique ! En retour, les lecteurs et lectrices vont alors avoir l’impression d’avoir une “vraie” personne en face d’eux.

Tout l’enjeu du romancier est de transmettre ces émotions, afin d’entrainer notre identification émotionnelle au personnage !

La preuve par l’exemple – Les Trois Mousquetaires

Dumas Les Trois Mousquetaires 1

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Voici un extrait d’une des premières scènes du roman d’Alexandre Dumas. Celui-ci se lit en moins de 5 minutes ! 🫧

En ayant en tête ce qui a été développé plus haut, essayez de capter les émotions que le texte crée en vous. A quel moment du texte Dumas vous embarque ? Quels sont les mécanismes narratifs qu’il met en place ? Quelles sont les sensations qui vous viennent à la lecture de certaines phrases ? Les questions ? Comment nait le suspens ?

L’analyse du texte arrive dans quelques jours, histoire de vous laisser un peu de temps pour y réfléchir. 🤓

Merci d’avoir pris le temps de me lire jusqu’ici !

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Bonne semaine à vous, pleines de giboulées de mai et de bronzettes éclair ! 🌦️

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