Je m’appelle Adrien et je reprends l’écriture de mon second roman. Arrêt sur Page est un lieu où je tente de donner un sens à ce travail qu’est l’écriture ; plus globalement, au monde qui m’entoure. Ici, on parle de récits, d’écrivain.e.s, d’art mais aussi de confiance en soi, de peur du regard de l’autre, de volonté de suivre sa voie. Les articles prennent la forme de courts essais, qui s’attaquent chacun leur tour à une problématique.
Bonjour à toutes et à tous ! 🧑🎄
Dans les rues, le froid commence à se faire sentir. Les joues rosissent, les pieds se refroidissent et nos mains se réchauffent en se frappant l’une contre l’autre. Bientôt Noël, bientôt le Nouvel An !
Que faîtes-vous pour les fêtes ? De joyeuses vacances de prévu ? Ou bien profitez-vous de cette période pour redoubler de travail, sauvés pendant quelques jours des commentaires de vos horribles collègues ?
Pour ma part, je vous en avais parlé, je me suis lancé dans la ré-écriture de mon roman. Mais à la différence d’autres tentatives, je suis cette fois accompagné par une écrivaine. Ce qui me fait beaucoup de bien !
Pour autant, les doutes et les questions demeurent. Jusqu’où dois-je pousser les corrections ? Dois-je prendre tous les commentaires au pied de la lettre ? Est-ce que ce travail en vaut la chandelle ?
Aujourd’hui, je vous propose une réflexion sur le travail de ré-écriture, à l’aide de l’ouvrage Comment améliorer les œuvres ratées, de Pierre Bayard. Avec comme fil rouge, la question : comment trouve-t-on la bonne distance à sa production ?
Allez, c’est parti !
Plongeon dans le travail de ré-écriture
Début octobre, j’envoie mon manuscrit à une écrivaine pour recevoir son aide. Je me sens bloqué sur mon texte, incapable de partir dans une direction. D’un côté, je ne veux pas lâcher ce texte, je sens qu’il pourrait marcher. De l’autre, quelque chose dans la narration ne fonctionne pas mais je ne parviens pas à mettre le doigt dessus.
Le retour aura lieu dans un mois. Je dois prendre mon mal en patience… Ce que je fais très mal. Car le seul fait d’entreprendre la démarche me pousse soudain à écrire. Je me sens libéré d’un poids, sans doute par le fait de n’être soudain plus seul dans ce marathon…
Je commence donc une nouvelle version.
Et là, magie !
En quelques jours je trouve cette narration qui m’avait échappée pendant des mois. Tout à coup, l’écriture me semble couler d’elle-même. Je sens, d’une manière très intuitive, que je tiens là le meilleur texte que je puisse faire au niveau auquel je suis. C’est un vrai déclic.
Comment améliorer les oeuvres ratées
A peu près au même moment et par hasard, je découvre un ouvrage de Pierre Bayard, qui s’intitule Comment améliorer les oeuvres ratées. Vous pensez bien que le titre m’aguiche.
L’essai propose d’étudier des textes que l’auteur considère comme franchement ratés, pourtant écrits par des romanciers et romancières reconnues. Et de s’interroger sur ce qui a mené à ces échecs, pour ensuite réfléchir à comment les améliorer. Il se décompose ainsi en trois parties : Consternation ; Réflexion ; Amélioration.
Je n’ai, pour ma part, pas trouvé la première partie très intéressante. Par contre, je recommande à tout écrivain, plus généralement à tout créateur, la lecture de la seconde, qui est pour moi le coeur de l’ouvrage.
Trouver la forme qui nous convient
Dedans, Pierre Bayard y affirme qu'une “existence est scandée par des rythmes profonds ou de grands cycles de création”.
On ne rate pas n'importe quand, et chaque ratage s'inscrit dans une histoire secrète qui le détermine et qu'il commente en retour.
L’écriture d’un livre est le produit d’un travail évidemment conscient mais également de mille petites choses inconscientes, contextuelles, qui infusent dans la création. L’un des enjeux pour l’écrivaine est de se sentir en adéquation avec le cycle dans lequel il se trouve. Et d’en tirer profit pour l’écriture.
Pour simplifier, Pierre Bayard identifie trois grandes périodes dans une vie créative.
Dans un premier temps, l'auteur serait à la recherche de la forme qui lui convient. La seconde étape serait celle de la maturité esthétique et des chefs-d'oeuvre. La troisième correspondrait à une période d'essoufflement de la créativité.
Bien entendu, c’est une généralité qui, comme toutes les généralités, est réductrice. Victor Hugo n’a jamais eu de problème d’essoufflement et Maupassant a identifié très rapidement la nouvelle ou le roman court comme forme qui lui convenait.
Pour autant, l’idée est intéressante et même rassurante.
Car s’il s’agit pour une autrice ou un auteur de trouver sa zone d’expression, alors on peut estimer qu’il est normal qu’il ou elle ne s’accomplisse pas en dehors. Dès lors, plutôt que de parler de talent inné, il s’agirait de parler de rencontre – avec sa forme de prédilection, ce qui revient à dire avec son moi artistique.
De là, un certain adoucissement de la pression que l’on doit se mettre en tant que créateur créatrice. Bien que j’ai pu essuyer des échecs, je ne suis pas mauvais en soi. Ma production dépend d’un équilibre subtil, bien plus vaste que moi.
Que l'on prenne ou non en compte les évènements biographiques, il semble qu'un auteur passe toute son oeuvre à tendre vers un point idéal d'écriture (étant retardé ou aidé dans son parcours par les différents évènements de sa vie) et, s'il l'atteint, à tenter de s'y maintenir le plus longtemps possible. Ce point correspond à la forme esthétique qui est pour lui la, plus juste, c'est-à-dire qui lui ressemble.
La distance à soi-même
Il me semble que c’est précisément ce que j’ai trouvé lorsque j’ai repris l’écriture de mon roman : la forme qui me ressemble. D’ailleurs, quand on me demande ce qui a changé, je suis bien en peine de répondre. Une sorte d’évidence s’en dégage. De facilité. Je le sens voilà tout.
Heureusement, Pierre Bayard (après Nina Simone) a les mots pour expliquer ce qui m’arrive.
Il affirme que ce qui importe la condition de réussite d’une oeuvre est de “trouver avec précision la bonne distance". Puis de demander : “Distance par rapport à quoi ?”
Et de répondre :
Par rapport à soi-même. Car il est vraisemblable que l’œuvre ratée l’est par rapport à la tentative de l’écrivain de parvenir à l’expression de soi.
Ainsi, savoir créer un texte qui parle aux lecteurs est avant tout un combat interne à l’artiste.
Plus concrètement, il s’agit de trouver le subtil dosage entre hallucination et isolation.
Hallucination et isolation
L’hallucination est cet espèce de rêve, dont je parlais déjà dans ma dernière newsletter en citant William Faulkner. Elle est cette matière brute, ce fantasme primaire que l’artiste n’a pas su transformer pour le transmettre à son interlocuteur. C’est un “retour dans le réel de ce qui n’a pas pu être suffisamment symbolisé.”
En ce sens, un texte hallucinatoire parait aux lecteurs excessif, opaque ou incohérent.
A l’inverse, , l’isolation est la conséquence d’une œuvre trop élaborée. Tout y est contrôlé, expliqué et maîtrisé. Dès lors, l’imagination des lecteurs n’y a plus sa place. L’identification est rendue impossible par le manque de suggestion et d’implicite.
L’isolation est l’inverse du fameux dicton Show, don’t tell.
Il s’agit donc de trouver l’équilibre entre ces deux pôles, pour parvenir à une œuvre réussie. C’est-à-dire à trouver la bonne distance à soi-même pour traduire ses fantasmes artistiques : assez pour les rendre compréhensibles par autrui mais suffisamment peu pour ne pas les dénaturer.
Les commentaires de l’écrivaine
Pour ma part, je serais bien en peine d’affirmer ou non avoir trouvé ce subtil équilibre entre hallucination et isolation. Je sais seulement que je me sens à l’aise dans mon processus de création, ayant retrouve une certaine confiance en mon intuition.
Confiance qui a été renforcée par les retours de l’écrivaine.
Car fin novembre, après avoir lu la première version que j’avais envoyée, elle m’a partagé ses commentaires, qui étaient particulièrement positifs.
Le plus beau d’entre eux a été celui où elle m’a affirmé que j’avais une voix et que c’était ce qui comptait dans l’écriture. Je dois dire que ça a été un moment formidable. Enfin une reconnaissance par quelqu’un de la profession ! 🎉
Depuis, j’avance sur ma deuxième version, que je lui partagerai bientôt. Avec cette assurance qu’il fait bon d’être bien accompagné.
C’est tout pour aujourd’hui. Merci pour votre lecture ! Comme toujours, n’hésitez pas à parler de la newsletter autour de vous.
Je vous souhaite de joyeuses fêtes, des visages chauffés par le froid de l’hiver et des portes ouvertes sur des feux de cheminée crépitants. ❄️🔥
Hello Adrien ! Ce n'est pas facile de trouver sa voix, ni son style, ni son thème, ni l'histoire qu'on veut raconter ni rien de tout ça... Alors si tu arrives à écrire sans sentir de poids et qu'en plus une écrivaine te confirme que ça marche, c'est que tu es sur la bonne voie ! Continue comme ça, force 💪 Et joyeux Noël à toi !