🐧 #4 - L'intrigue d'un roman: c'est quoi ? (1/2)

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Je vous l’avais promis, le voici enfin : l’article sur la question de l’intrigue !

Et avec lui, ma nouvelle mascotte : le manchot ! 🐧

Mais ne nous égarons pas et penchons-nous plutôt sur le sujet du moment : qu’est-ce qu’une intrigue ?

💪 L’intrigue, c’est l’action

En faisant mes recherches, je suis tombé sur cet article, qui donne une première définition scénaristique de l’intrigue – je ne crois pas que le mot “scénaristique” existe mais qu’importe ! J’ai trouvé cette définition intéressante pour commencer ma réflexion.

Il y est écrit que : “ dans le jargon de la dramaturgie le terme « action » est aussi tout simplement synonyme d’« intrigue ».”

L’auteur illustre son propos par l’Odyssée, que l’on pourrait résumer à “une seule action : Ulysse rentre chez lui.”

La quête

Dans cette phrase, nous trouvons deux ingrédients : un protagoniste – Ulysse –, et son objectif – rentrer chez lui.

Et la combinaison des deux donne effectivement une action. En l’occurence, un voyage – c’est-à-dire une longue action. Une forme de quête.

Dans une quête, le ou la protagoniste a une mission à accomplir, claire du début à la fin du récit, et son enjeu peut souvent se résumer en une phrase (ce qui n’est pas le cas de tous les récits, comme nous allons le voir).

Parmi quelques exemples célèbres, on peut citer : La Quête du Saint Graal (C. de Troyes), Le Seigneur des Anneaux (J.R.R. Tolkien), L’Ile au Trésor (R.L. Stevenson), L’Alchimiste (P. Coelho).

Cette structure est très populaire dans les récits de science-fiction (Dune, de F. Herbet, La Horde du Contre-Vent, de A. Damasio) et… dans les mangas ! Que ce soit Naruto, Dragon Ball ou One Piece, tous mettent en jeu des héros prêts à tout pour atteindre leur rêve.

🏴‍☠️ One Piece

Dans le cas de One Piece, manga japonais le plus vendu au monde et chef-d’œuvre d’Eiichiro Oda, l’intrigue peut effectivement se résumer en une phrase :

Luffy va trouver le trésor du One Piece (qui lui permettra de devenir le Roi des Pirates).

Tout le fil du manga tient dans cette phrase ! Un personnage, un objectif, et… voilà ! Exactement comme pour Ulysse qui souhaite rentrer chez lui.

Pour autant, est-ce qu’une action suffit à faire une intrigue ? Je rentre moi-même tous les soirs chez moi, et je ne suis pas certain qu’on veuille en faire un roman !

Des obstacles

Etymologiquement, intrigue provient du latin intricare, qui signifie embarrasser, embrouiller, empêtrer. Et c’est évidemment ce à quoi s’attend notre lectorat. De l’embrouille ! Du conflit ! Des obstacles !

Ce qui pique ma curiosité, ce n’est pas tant la finalité que l’anticipation de tout ce qui va se dérouler entre la situation initiale du héros, où il n’a pas atteint son objectif, et le moment où ce dernier est enfin accompli !

Je lis pour savoir comment mon ou ma protagoniste va surmonter les épreuves.

Si il ou elle satisfait sa volonté en quelques pages, ce n’est pas lui, mais moi qui en sortirais frustré.e. Et les auteurs et autrices de manga le savent bien !

La formule des shonen (littéralement “manga pour jeune garçon”, genre auquel appartient One Piece) est ainsi toujours la même : le héros ou l’héroïne rencontre un obstacle, qu’il ou elle va surpasser pour devenir plus fort.e, pour ensuite rencontrer un nouvel obstacle, qu’il ou elle va surpasser pour devenir plus fort.e, etc., jusqu’à l’accomplissement de son rêve (sa quête).

🚧 L’intrigue, c’est l’obstacle

Nous voici donc avec un nouvel ingrédient : l’obstacle. C’est lui qui fait l’intrigue !

Par exemple, la phrase “Ulysse rentre chez lui” est certes une action au sens littéral du terme (on a bien un sujet qui accomplit un mouvement) ; mais ce n’est pas une action narrative pour autant ! D’ailleurs, ça pourrait être la conclusion d’un roman. Et Ulysse rentra chez lui. Il vécut heureux et eut beaucoup d’enfants. Point.

Mais la raison pour laquelle on lit ce récit, c’est bien parce qu’Ulysse rencontre tout plein d’aventures à l'intérieur de cette action cadre !

Obstacle primaire et obstacles secondaires

Un obstacle peut être de toute sorte : personnifié (un ennemi, par exemple), physique (une montagne à gravir, un océan à traverser), émotionnel (une frustration, une peur), moral (être un soldat pacifiste), matériel (pauvreté), etc. Il peut être insurmontable ou au contraire minime. Il peut être réel ou imaginaire.

Bref. Tout ce qui est un frein au personnage est un obstacle.

Dans le cas de One Piece, l’obstacle majeur est l’océan (de même que dans l’Odyssée, d’ailleurs). Luffy doit traverser tout Grand Line pour atteindre LaughTale, une île légendaire (donc a priori inaccessible), sur laquelle se trouve le trésor du One Piece.

Or, cet obstacle primaire est rempli par des dizaines d’obstacles secondaires au fil du récit : des tempêtes, des pirates ennemis, des officiers de la Marine, des volontés divergentes au sein de l’équipage, …

De manière générale, l’action principale (constituée du trio personnage – obstacle majeur – objectif majeur) peut être vue comme un contenant, dans lequel l’auteur ou l’autrice pourra déployer toute une série d’aventures “secondaires”.

Ulysse s’est attiré la colère de Poséidon, qui l’empêche de rentrer chez lui. Mais le récit ne se concentre pas sur ce conflit : c’est l’apparition régulière d’obstacles secondaires – le cyclope Polyphème, les sirènes, Charybde et Scylla, Circé, … – qui génère l’envie de tourner les pages.

Petite métaphore

Car que serait Arrêt sur Page sans métaphore…

J’aime bien visualiser l’intrigue principale comme le poteau central d’un chapiteau. Autour, se déploient des guirlandes, des rubans, des lumières, un chapiteau, tous ces éléments qui vont donner envie au spectateur de s’arrêter – les intrigues secondaires. Sans ces dernières, pas de rebondissement, pas de péripétie. Pour autant, c’est bien le poteau central, qui tient le tout !

J’ai vraiment cherché longtemps, je n’ai pas trouvé mieux comme chapiteau….

🧙‍♂️ Harry Potter

L’un des meilleurs exemples de chapiteau romanesque est Harry Potter, le roman de J.K Rowling, sans doute l’oeuvre la plus célèbre du XXIème siècle – et ce n’est pas pour rien !

L’autrice a construit une intrigue principale robuste, qui se déploie sur 7 tomes, autour de laquelle s’enroulent tout un tas de récits secondaires qui nous émerveillent à chaque livre.

En fond, nous avons le conflit qui oppose Harry et Voldemort, depuis les premières pages du premier tome (le premier chapitre s’intitule “Le survivant”), jusqu’aux dernières pages du dernier tome.

Puis, par dessus, nous avons un livre par année scolaire de Poudlard, rempli d’embûches, d’aventures et de découvertes qui, petit à petit, viennent alimenter l’intrigue principale.

Résumer l’intrigue

Pour celles et ceux qui se sont prêté.e.s à l’exercice, il ne vous aura pas échappé que trouver une seule phrase qui résume Harry Potter est nettement plus compliqué que pour One Piece.

Pourquoi ?

Eh bien, au départ, le héros n’a pas vraiment de volonté propre ! Ce qui fait qu’on ne peut pas simplement écrire : Harry Potter souhaite vaincre Voldemort. Ou encore : Harry Potter devient un grand sorcier. On perd beaucoup trop d’informations !

Contrairement aux exemples précédents, l’objectif initial du protagoniste est secondaire par rapport au reste du récit : au début, Harry souhaite seulement échapper à ses horribles oncle et tante qui l’ont recueilli à la mort de ses parents.

Son vrai objectif ne nait que lorsque Hagrid apparait un soir de tempête.

D’un coup, ce dernier amène une solution aux premiers problèmes d’Harry – il lui propose une possibilité d’échapper à sa famille d’accueil – ; qui implique un nouvel objectif : celui de devenir un sorcier ; mais qui comporte aussi un nouvel obstacle (bien plus gros que le précédent) : Harry est l’unique survivant de Voldemort et celui-ci veut sa mort.

Hagrid est ce qu’on appelle un élément perturbateur. Il vient ébranler une situation initiale, et de lui va découler toute une série de péripéties, constituant la trame du roman jusqu’à son dénouement.

L’élément perturbateur

Dans le cas de One Piece, l’élément perturbateur est le fait que Luffy mange un fruit du démon, qui l’empêche dorénavant de nager mais qui donne à son corps l’étrange propriété d’être élastique. Cette donnée va conférer une qualité extraordinaire au héros, le différenciant du reste du monde (tant en bien qu’en mal).

Pour autant, ce qu’on peut remarquer, c’est que cet élément perturbateur ne modifie ni l’objectif initial du héros (devenir le Roi des Pirates), ni l’obstacle majeur (traverser l’océan).

A l’inverse, dans le cas d’Harry Potter, Hagrid amène avec lui un nouvel obstacle qui va complètement chambouler l’objectif du héros, puisque c’est cet obstacle qui va devenir son objectif (échapper à Voldemort d’abord, et puis, au fur et à mesure des livres, le vaincre).

La difficulté de résumer l’intrigue d’Harry Potter découle de ce fait : l’objectif majeur du livre découle de la rencontre première avec un obstacle - et non l'inverse.

Voici une tentative :

Harry Potter découvre enfant qu’il est un sorcier, le seul à avoir survécu au terrible mage noir Voldemort. Rejoignant l’école de Poudlard, il y apprend la magie afin de vaincre son ennemi de toujours.

Harry Potter comme roman d’apprentissage

Plus qu’une quête précise, c’est une forme d’initiation qui se dégage de ce résumé. On s’attend à ce que notre héros grandisse à travers le récit, à ce que ses vues sur le monde évoluent au fur et à mesure de son évolution. En ce sens, Harry Potter peut être considéré comme un roman d’apprentissage.

De même que les Trois Mousquetaires…

🍏 Pause

Mais arrêtons-nous ici pour le moment – nous avons déjà bien avancé !

Et résumons en quelques points ce que nous avons éclairci de l’intrigue :

• La base d’une intrigue est le trio : protagoniste – objectif – obstacle

• Une intrigue principale est l’occasion de développer de multiples intrigues secondaires, avec toujours ce schéma : objectif (volonté) – obstacle (frustration) – dénouement (est-ce que l’obstacle est surmonté ?)

• C’est l’intrigue principale qui donne la cohérence au récit. Mais ce sont toutes les intrigues secondaires qui en font la saveur.

• Il faut un élément perturbateur pour initier l’intrigue. C’est lui qui crée l’instabilité, qui va être le support de l’intrigue tout au long du récit.

• En particulier, certains éléments perturbateurs amènent avec eux de nouveaux obstacles qui vont devenir les nouveaux objectifs du héros ou de l’héroïne. En ce sens, on peut distinguer les récits où l’objectif est antérieur à l’obstacle et ceux où l’objectif est créé par l’obstacle.

Et…

Et c’est déjà pas mal !

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🌤️ Mais avant de partir…

Dans mes articles précédents, j’ai partagé mes expériences personnelles, en essayant de les relier à des concepts plus généraux. Mais avec cet épisode, je rentre dans une forme particulièrement didactique de la newsletter, où je m’éloigne de mon pré carré pour m’aventurer dans une forêt relativement inconnue.

Et ce n’est pas facile !

Je suis donc preneur des retours que vous voudrez bien m’accorder pour que je puisse améliorer ma ligne éditoriale ! 🙂

Enfin, merci à toutes les personnes qui m’ont fait parvenir un retour suite à mon article précédent. J’ai été très touché de constater que mon expérience intéressait et pouvait servir à d’autres !

D’ici notre prochain rendez-vous, je vous souhaite des nuages blancs, des fleurs et de belles rides de joie sur le visage ! 😁

Des bisous 💋